Je suis juste moi !

Xavier de La Porte, dans sa chronique  "Êtes-vous sapiosexuel ? : comment l'informatique nous incite à tout nommer" dans La vie numérique sur France Culture s'interrogeait en 2017 sur cette obsession, largement répandue sur les sites de rencontres, à catégoriser les individus selon leur orientation et pratiques sexuelles.  

© Vivian Shih


A travers l'exemple de la revendication de certain.e.s de leur sapiosexualité*, il met en lumière ces étiquettes avec lesquelles nous sommes sommé.e.s nous définir pour atteindre le match parfait. 

Ce n’est pas pour rien que ce terme est apparu à l’ère numérique, et sur un site de rencontre. En effet, c’est un trait caractéristique de l’informatique de nous obliger à tout classer. C’est comme ça que fonctionnent les ordinateurs, avec des bases de données. Ainsi, la rencontre amoureuse, quand elle est prise en charge par l’informatique, devient un problème de base de données, donc de nomination. Et plus on veut être précis, plus il faut nommer précisément. 

On se retrouve donc à devoir mettre des mots sur des caractéristiques, des gestes, des pratiques, des préférences, qui ont toujours existé, mais qui n’avaient pas forcément de nom.

Sapiosexuel.le, mais aussi assexuel.le, pansexuel, libertin.e, bi, (non-)exclusif.ve, MMM, BDSM et j'en passe. Voilà quelques catégories dans lesquelles nous serions sensé.e.s nous caser pour nous définir. Sans oublier les sous-catégories libertines qui sont tellement nombreuses que je m'y perd : trioliste, échangiste, côte à côtiste, exhibitionniste, voyeuriste, candauliste, mélangiste, fétichiste... Merci Wyyld d'avoir à ce point enrichi mon vocabulaire !

Cette injonction à la labellisation produit une forme de segmentation des sites où nous serions amené.e.s à ne croiser que nos pairs en matière d'attentes, de pratiques et d'orientation sexuelles. Ce que je constate, c'est que l'on y croise bien souvent toujours les mêmes personnes !

Ce classement en catégories de plus en plus affinées, exigence des algorithmes des sites de rencontres et de leurs bases de données, nous oblige à rentrer dans des cases et génère finalement son propre champ lexical. Nous laissant croire que plus nous nous identifierons sous des normes labellisées, meilleures seront nos chance de matcher et d'envisager une relation satisfaisante. Ce classement en sous-catégories, basées sur des orientations et pratiques sexuelles, produit plutôt à mon sens une sorte de standardisation. Chacun.e reprenant les catégories en vogue dans l'espoir de se conformer aux attentes de l'Autre et contribuant ainsi à renforcer le côté marchand des sites de rencontres. 

Segment. Niche. Produit. Offre. Demande.

J'ai souvent été confrontée à ces conversations avec des hommes (et quelques femmes) qui souhaitaient savoir si j'étais libertine, bi, non-exclusive,... ou qui portait haut leur étendard #MMM pour m'assurer de leur ouverture d'esprit. J'avoue m'être moi aussi targuée de ce hashtag dans l'espoir de ne pas attirer tous les machos affamés de la terre. En vain, bien sûr, parce que les gros lourdauds n'ont aucune idée de ce que recouvre la mention #MMM. 

J'ai ainsi discuté depuis plusieurs années avec des centaines d'hommes (vous saluerez l'abnégation !) qui ont dans la tête un véritable questionnaire sexuel sur les pratiques de leurs potentielles partenaires et pour qui un manque d'appétence pour l'éjaculation faciale, être ficelée comme un rôti ou étouffée est rédhibitoire.

Je trouve cette catégorisation un peu triste. A ne matcher qu'avec ceux qui partagent toutes nos lubies sexuelles, on perd l'effet de surprise et l'on prend le risque de ne pas découvrir de nouveaux champs des possibles.

Alors, à tous ceux (et parfois celles...) qui souhaiteraient savoir si je suis libertine, bi, MMM, non-exclusive, zèbre ou sapiosexuelle, j'ai envie de répondre : JE SUIS MOI ! Et soyez vous même aussi, un peu curieux, surprenons nous !


Radiohead - No surprises


* Personnes qui seraient avant tout intéressées sexuellement par le savoir et l’intelligence, au-delà de tout autre critère. Pour celles.ceux qui voudraient en savoir plus sur la sapiosexualité, lire cet article de Vice : À la rencontre des sapiosexuels, ceux qui ne baisent qu'avec des gens intelligents

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