[ARCHIVE] La forteresse assiégée

En rangeant des tiroirs, je suis tombée sur un vieux carnet. Il ne contenait que quelques pages écrites il y a 13 ans.


Un an auparavant, je quittais mon compagnon avec qui j'avais partagé 12 années de vie commune. Je ne m'étendrai pas sur ces 12 années. Il suffit de savoir que les 3/4 furent une erreur. La séparation fut rude. Après une espèce de sidération teintée d'un pseudo chagrin, il a pété un câble et m'a harcelée pendant 18 mois. 18 mois où il m'a espionnée et suivie en quasi permanence, invectivé, menacée mes proches, durant lesquels il a piraté mon ordinateur, défoncé la porte de mon immeuble... Le seul but de sa vie semblant être de me "pourrir la vie jusqu'à ce que [je] crève". 

Après la séparation, il avait appris que je l'avais brièvement trompé, 8 ans avant mon départ. Cette "infidélité" ne constituant donc pas le motif de ma fuite. C'est cet incident de parcours et mon choix de vivre une liberté sexuelle qu'il n'a pas supporté. Tout comme le fait que JE le quitte, que je m'échappe. J'ai appris durant ces 18 longs mois ce que signifiait la possessivité, la jalousie. Comment un homme trouvait insupportable d'être quitté, malgré une vie conjugale minable. Comment il pouvait vous considérer comme sa chose. Comment ce n'est pas votre absence qui est insupportable mais le fait d'offrir votre corps à d'autres que lui.

Entre les stratégies d'évitement en quittant momentanément mon nouvel appartement à plusieurs reprises, les 8 plaintes au commissariat, la conquête de ma nouvelle indépendance, le début d'une thérapie, je me suis mise à écrire.

Pour rappel, en 2007-2008, le délit de harcèlement n'existait pas en dehors du cadre du travail. Ni la police, ni la justice n'ont pu me protéger et l'arrêter, malgré les plaintes déposées, plusieurs convocations et un rappel à la loi. C'est en 2010 que le délit de harcèlement par conjoint ou ex-conjoint est entré dans le Code pénal par l’article 222 - 33 - 2 - 1. Article qui sera amendé et renforcé en 2014, 2018 et 2020 pour qu'enfin les femmes victimes de harcèlement puissent être protégées et les auteurs poursuivis et condamnés. L'arsenal juridique existe aujourd'hui, il suffirait juste de l'appliquer.

Les quelques pages de ce carnet sont un extrait de ces exercices d'écriture qui me permettait de tenir face au harcèlement. Elles sont le reflet des pensées qui m'agitaient, entre force et doutes, peur et défi. De ce qui se passe dans la tête d'une femme traquée par son ex. Durant ces longs mois, je me suis sentie comme une forteresse assiégée devant résister aux assauts d'un ennemi. Ces 18 mois ont radicalement transformé la femme que j'étais. Ils ont été le catalyseur d'un long processus de changement, d'introspection et de prise de conscience. Ils ont également fondé une conviction féministe sans concession.

Puis, j'ai arrêté d'écrire. Victime certainement de ma forte propension à la procrastination et encore plus certainement happée par un mouvement de vie. Puis, le harcèlement s'est arrêté, soudainement. J'ai poursuivi ma vie. Mais je ne n'oublierai jamais. Je ne pardonnerai jamais.

31/12/2008

Défis et pénitences !

J'ai décidé de passer le réveillon avec moi-même. Pas seule. Avec moi-même. Nuance...!

Plutôt défi. Prélude à la solitude, assumer la solitude choisie jusqu'au bout. Si je suis capable de vivre seule et d'apprécier la liberté que procure la solitude, je suis donc capable de (choisir de) passer le réveillon avec moi-même.

"Mieux vaut être seule que mal accompagnée". Avec moi-même, suis-je en bonne compagnie ?

Un invité indésirable s'est présenté à ma porte. Décidément, il est difficile de me débarrasser, de débarrasser ma vie de ce connard, de ce malade.

C'est drôle... Débarrasser, débarras... Placard.

M. est le cadavre dans mon placard.

Je le sors de ma vie, il revient par la fenêtre. Ou est ce moi qui le laisse rentrer ? Par effraction.

02/01/208

Domination

Culpabilité

Emprise

Doute

16/01/2008

Assiégée

Intrusion

Envahie

Epiée

12/03/2008

Traque

Exilée

Forteresse vide

Les coups de butoir du butor

La hantise du coup de sonnette, même ici chez C. Est-il vraiment dangereux ? Le doute est source d'angoisse.

La béquille Lexomil. Flotement. Je flotte dans ma vie, mon existence.

Ne pas voir de fin... Y aura t'il une fin ? Quelle fin ? Celle du harcèlement au quotidien qui me permettrait de trouver une vie paisible ?

Pour l'instant, je suis dans une non-vie : des efforts démesurés pour garder l'apparence de vivre.

Et la fin de la haine ? Comment vit-on avec quelqu'un qui vous hait quelque part, comment vit-on en sachant que quelqu'un, quelque part, vous hait ?

La haine, c'est le lien qui existe encore.

Je rêve d'indifférence, de disparition... Qu'il s'évapore de mon horizon.

Reprendre mon chemin, sans toujours buter sur sa présence.

Il envahit ma vie comme jamais.

Second coup de sonnette. Mes mains tremblent, mon estomac se noue. Répondre pour savoir enfin . Ne pas être dans le doute. Si c'est lui autant le savoir.

Aller à l'affrontement ? Ne plus me cacher ? Me montrer ? L'affronter, le défier, le pousser à la faute ? Qu'il m'en mette enfin une et le faire coffrer ?

Je ne sais pas !

J'ai répondu à l'interphone. Pas de réponse.

Oser sortir ? Encore ce sentiment d'être assiégée !

Et si c'était juste le facteur ? Paranoïaque.

Je pourrais descendre voir... Peur. J'ai peur.

Difficile à avouer, à le reconnaître, alors que d'euphémismes : angoisse, pression, fatigue,... 

Mais, non. Oui peut être mais aussi la peur ! Affronter la peur ?!

Finir ma cigarette, prendre mon portable, enregistrer le numéro de la police et descendre voir. Ce n'est peut-être pas lui ! Le facteur, un livreur... que sais-je ?

Arrêter le tourbillon du doute et de l'angoisse qui monte et s'installe.

Appel de C., avec ses encouragements, téléphone collé à l'oreille, je descends les 5 étages à pieds (pas envie de me trouver coincée dans l'ascenseur), rien devant la porte, j'ouvre, fais quelques pas sur le trottoir, le scooter est là, personne.

La pression redescend, je remonte avec l'ascenseur, parle encore quelques minutes.

Et si, et si... Le tourbillon reprend. 

Et s'il qu'il m'avait retrouvée, s'il n'avait fait que vérifier que j'étais là, s'il était dans le café en face à attendre...

Raison gardée. Le facteur est passé, il y avait des enveloppes dans la boîte. Je n'ai rien vu. Pourquoi extrapoler sur rien...

Prendre mon courage à mon cou avant qu'il ne se sauve et sortir ! Combattre l'angoisse qui me paralyse. Prendre sur moi ! 

Mais c'est justement cette pression qui m'écrase. Ça, pour prendre sur moi, je prends sur moi ! Je suis même engloutie, enfoncée même, à force de prendre sur moi, ce poids sur mes épaules et dans l'estomac. Je prends sur et dedans.

Allez, j'y vais ! Courage ma fille ! Tu es la reine du monde !

15/03/2008

Impression de tourner les pages d'un livre... Tourner les pages, l'une après l'autre, définitivement. Tourner la page n'est qu'une illusion. On ne tourne jamais la page !

16/03/2008

Je ferme la porte. Je ferme une porte, je le sais. Je ne sais pas si je reviendrai un jour vivre dans cet appartement que j'avais choisi pour goûter ma liberté et ma nouvelle vie. Je ne sais pas si je pourrais y revivre sans être envahie par l'angoisse. Le bruit de cette putain de sonnette...

Il y a un peu plus d'un an, lorsque j'ai emménagé, c'était la fébrilité, une extrême nervosité mais une porte s'ouvrait sur une nouvelle vie. Un futur s'ouvrait, des projets, des rêves, des envies. La liberté. C'était vertigineux mais plein d'espoir.

Aujourd'hui, cette sensation que les choses se ferment. Ce départ, que j'espère tout de même temporaire, c'est tout de même une sorte de capitulation, une défaite quelque part. Il va me falloir encore prendre un nouveau départ.

Résignation. Tentative de me protéger, de contrer. Défense. Que de vocabulaire guerrier !

Mais oui ! Je livre bataille ! L'ennemi me pousse à changer mes positions.

C'est toujours lui qui prend l'initiative de l'offensive. Je suis dans la défense, voire la contre-attaque.

Pourtant au tribunal, c'est lui qui aura droit à une défense et moi qui attaque.

Moi qui aspirais à vivre en plein jour, en plaine lumière, je me retrouve à me cacher, à m'effacer, à disparaitre. En tentant désespérément de disparaitre de sa vie, je m'efface de la mienne. Je vis entre parenthèses.

Toujours lui ! Toujours là ! Moi qui voulais l'effacer de ma vie, de ma mémoire, repartir sur de nouvelles bases, c'est raté !

Je ne fais que vivre, organiser ma vie, en réaction. Pitoyable !

Terrible impression que je vais devoir porter ce fardeau sans fin ! C'est Atlas qui avait été condamné à porter la terre sur ses épaules...

Positiver ! Prendre tout ça comme une expérience, en tirer les leçons pour m'enrichir, mieux me connaître... Bullshit !

J'ai surtout l'impression de devenir encore plus dure, insensible. J'ai le coeur et les émotions pour les autres qui se fossilisent . Un coeur dur comme une pierre.

Au vide des années passées avec lui, je me remplis de pierre. Au vide succède le dur, le compact, le roc. Alors que j'aspirais à me remplir de douceur et de vaporeux.

Ne pas devenir aigrie, gagner en sensibilité ! Ne pas me refermer sur moi-même. M'ouvrir aux autres comme pour former un cercle, un rempart dont je pourrais l'exclure et qui me protégerait de lui.

Devenir intouchable, inattaquable, être hors de sa portée. L'amour des autres comme rempart.

L'amour des autres : aimer et donner aux autres, être aimée et recevoir des autres.

17/03/2008

Se maintenir à flots pour ne pas sombrer.

Faire face. Garder la face. Faire bonne figure.

29/03/2008

Je me cherche. Je suis perdue, je me perds. Je suis seule.

Si multiplier les amants, les expériences sexuelles, ne m'apportent pas de plaisir, à quoi ça sert ? Qu'est ce que je cherche ? Drôle de quête.

Séduire, être trouvée séduisante davantage qu'être séduite. Je suis facile à séduire. Il suffit qu'ils me trouvent désirable. C'est la seule satisfaction que j'en tire. Je veux qu'ils aient envie de moi. Je cherche dans leurs yeux cette lueur. Il n'y a que dans leurs yeux que j'ai envie de me voir, de me trouver : désirable, sexy, belle. Pas pitoyable et seule comme je me sens au fond de moi.

08/05/2008

Sentiment ambivalent. Colère et frustration. Classement sans suite. Pas de poursuite.

Je ne me sens pas reconnue. La Justice ne reconnait pas ce qu'il me fait endurer, comme si j'affabulais, j'exagérais. Même moi, je me demande parfois si tout cela et si terrible. Je doute. 

La police me l'a dit. Pas de menaces de mort directes. Pas de coups. Pas de poursuites.

Et aussi soulagement. J'ai fait ce qu'il fallait (les plaintes, l'avocate, etc...) et la suite de dépend pas de moi. Mais justement pas de suite.

Soulagement aussi parce que je n'assume pas complètement de le faire condamner. Devant qui ? Je ne sais pas. Les Autres.

Etre celle qui fait condamner son ex-compagnon... Pas facile. Même si je sais que c'est idiot, je culpabilise. Paradoxe. 

Je culpabilise de l'avoir quitté et "de l'avoir rendu malheureux". C'est pour cela que j'ai réagi si violemment hier au téléphone avec mon père.

"Dans quel état tu mets les hommes !"

Non, sa plaisanterie ne m'a pas faite rire. "Les hommes" ?!! Comme si ce n'était pas la première fois.

"Dans quel état", JE l'ai mis ?!! C'est donc ma faute ?! La conséquence de ce que j'aurais fait. Mal fait ?

Oui, c'est parfois ce que je crois au fond : je l'ai mal quitté, je n'ai pas fait ce qu'il fallait, je n'ai pas fait les choses comme il faut. Je me sens responsable !

12/05/2008

Je viens de rentrer chez moi. Le soleil illumine la pièce, j'ouvre les fenêtres. Je range mes affaires. Je me sens forte. Je me sens bien dans ce jean qui allonge mes jambes et ce petit pull rose qui souligne mon buste.

La sonnette. Cette putain de sonnette de l'immeuble ! Je l'entends hurler dans la rue : "Ouvre ! Descends !"

Tout se gèle en moi. Il est là. Il était là à guetter, toujours. Tel un prédateur guettant sa proie. Cela n'en finira jamais.

Je prends un quart de Lexomil. Je respire. Je m'assois. Respirer.

Puis la rage, la colère monte en moi. Je le hais. Ah oui, classement sans suite ?! Pas de menaces de mort ? Pas de coups ? Je vais leur en donner des suites, moi !

Et lui, il croit qu'il va me faire peur comme ça longtemps ?! Il n'a que ça à foutre de vie de merde ?!

J'enfile mes plus hauts talons. Je bous de l'intérieur. De rage et de trouille.

Je vérifie par la fenêtre. Il est toujours, à faire les cent pas sur le trottoir. A quelques mètres, le café en face de chez moi est ouvert. Le provoquer. Qu'il m'en mette une. Des témoins.

Je descends. Ouvre la porte de l'immeuble. Sors. M'avance vers lui. Il se retourne. Un peu surpris. Près d'un an que l'on ne s'est pas retrouvé en face à face.

Je me tiens droite, dressée sur mes talons, arrogante en apparence, le visage fermé : "Qu'est ce que tu veux ?!"

La logorrhée verbale. La même qu'il y a un an. Mêmes mots, même haine. Nous sommes dressés face à face, en face de ce café de quartier. Je vois qu'il se contient. Il reste à distance. Suffisamment près pour me dominer, suffisamment loin pour ne pas me frapper.

"Je vais te pourrir la vie jusqu'à ce que tu crèves !" éructe t'il. "Tu peux aller voir les flics, je m'en balance !"

"Tu t'en balances ? Je ne te lâcherai jamais. Un jour, tu iras à la faute. Tu le sais, la plus forte, c'est moi. Et ce jour là, ils te boucleront. Toutes les plaintes. Tu finiras en taule. Pense bien à ta mère ! Ta mère, la honte, la prison, son fils aîné, si fière !"

"Tu es une pute ! Tu me dégoûtes !"

"Alors, pourquoi tu m'emmerdes ? Tu es un minable, avec une vie de merde. Je fais ce que je veux de mon cul, avec qui je veux."

D'un coup, il s'arrête de hurler. Comme un robinet que l'on aurait coupé. J'attends qu'il reprenne. Rien.

"Ça y est ? Tu as fini ? Tu as encore quelque chose à dire ? Parce que c'est la dernière fois que tu me vois. Alors si tu as quelque chose à dire, c'est maintenant !"

Rien. Le silence. Stupéfait.

Je me retourne, marche vers l'entrée de l'immeuble, droite. Terrifiée et soulagée à l'intérieur. Il ne bouge pas. Je rentre, monte les trois étages, rentre chez moi. Je m'assois sur le canapé. Je tremble, des pieds à la tête. J'entends sa voiture démarrer en trombe.

Je l'ai fait. Je l'ai affronté. Je suis fière de moi. La peur ne me paralyse plus. J'ai repris la main.


Après cette confrontation, je ne l'ai plus jamais revu. Il n'est plus jamais revenu sonner à ma porte. Il y a eu quelques incidents. Des mails envoyés à mes contacts professionnels. Mais plus jamais ce guet permanent de mes faits et gestes.

J'ai compris que le harcèlement reposait sur l'emprise. Qu'il jouissait du contrôle qu'il avait sur ma vie. Que si l'esquive m'avait protégée durant des mois de sa violence, elle traduisait aussi ma peur et qu'il nourrissait sa haine de ma peur.

Que je vienne l'affronter a brisé son emprise. Je l'ai toujours su, j'étais la plus forte de nous deux. Il le savait aussi. J'étais devenue hors d'atteinte. Victoire par KO. Moi, j'ai mis des années à m'en remettre. Et j'en ressens encore les conséquences. Je suis tétanisée si j'entends des hurlements. J'ai vécu des années sans sonnette, je ne supporte plus ce bruit. Mon pouls s'accélère, j'ai les mains qui tremblent. J'ai passé des années à éviter le quartier où nous vivions et où il a gardé l'appartement. J'ai jeté toutes les photos de lui, où nous figurions ensemble, où figurait sa famille, qu'il avait prise de moi. 12 ans de ma vie sans image, si ce n'est de paysages qui dorment dans un carton au fond de mes caves successives.

Puis, 14 ans de reconstruction. Une nouvelle vie. Une nouvelle moi. Différente. Plus forte. Libérée. Libre. Qui n'oubliera jamais. N'acceptera plus jamais.


Christine Aguilera - Fighter
'Cause it makes me that much stronger
Makes me work a little bit harder
It makes me that much wiser
So thanks for making me a fighter
Made me learn a little bit faster
Made my skin a little bit thicker
Makes me that much smarter
So thanks for making me a fighter

Commentaires