51 & Fabulous

 

Les femmes aux abords de la cinquantaine ont-elles une sexualité ? C’est à se poser la question au vu de la rareté des articles dans les médias et posts sur les réseaux sociaux. Il semblerait que celle-ci se résume à la ménopause et ses charmants corollaires…


Je lis un tas un tas de témoignages et de littérature de femmes sur la sexualité, les relations hommes-femmes, la déconstruction hétéronormée, les rencontres en ligne. Tous intéressants, voire passionnants, mais tous produits par et pour des jeunes femmes entre 20 et 40 ans. Passée la quarantaine, et encore mieux la cinquantaine, nous paraissons avoir été engloutie dans un trou noir dont l’horizon se résumerait à s’inscrire sur Disons demain et à faire de la randonnée avec nos amies. Nous finissons par réapparaître vers la soixantaine pour nous vanter les joies du sexe au 3ème âge.

J’adore ce foisonnement de la génération #MeToo et #BalanceTonPorc qui secoue sacrément le cocotier du patriarcat ! Je me réjouis de cette libération de la parole, de cette volonté de construire une sexualité libérée des injonctions patriarcales, basée sur le consentement, la redécouverte du plaisir au féminin, le dépassement de la pénétration comme l’alpha et l’oméga de toute relation sexuelle… et l’usage récréatif des sex toys ! Je me délecte de lire et d’entendre toutes ces femmes qui échangent entre elles dans un élan de sororité joyeuse et décomplexée. Mais je me rends bien souvent compte que je pourrais (presque) être leur mère. J’ai bien dit presque…

Cela fait du bien de se sentir moins seule, de ne plus être isolée dans cette revendication de liberté et de dépassement des jugements moraux (quoi que…), de ne plus être féministe avec soi-même. Et ce mouvement de fond semble annoncer un avenir plus radieux pour les femmes (et pour les hommes) des générations à venir, même si le chemin est encore long.

Parce que nous, on a un peu ramé pour y arriver à cette délivrance de l'hétéronormativité. On s'est retrouvé englué dans des histoires d'amour et de couples qui nous ont laissé de belles cicatrices. On a tâtonné, on a construit pas à pas nos vies professionnelles et personnelles, éduqué nos (leurs) enfants différemment, noué des amitiés solides. Certes, on avait lu Simone de Beauvoir et Gisèle Halimi mais on s'était vite faites rattraper par les normes et la pression sociales et on s'est pris la violence du patriarcat en pleine tronche ! Tout le monde nous a bien remises dans le droit chemin, nos familles, nos mecs, nos patrons et parfois même nos copines avec leurs couples si parfaitement mis en scène. On a presque fini par y croire que c'était ça la vie. Et puis, un jour ou petit à petit, on a fini par faire éclater les cadres, par reprendre en main cette vie dans laquelle on s'ennuyait mortellement et qui finissait par nous tuer à petit feu. Et c'est vrai que cette lame de fond, ce nouveau féminisme dans toute sa diversité nous a apporté de belles armes pour trouver notre chemin. 

Mais voilà, dans ce déferlement de paroles, point de femmes de notre âge, ou si peu. Pourtant, dans mon entourage et sur les sites de rencontres, je compte quelques consœurs qui vivent une sexualité épanouie, qui se sont libérées du carcan hétéronormé (ou qui du moins s’y attèlent avec entrain), vivent leur célibat avec enthousiasme et bonheur, entre leurs enfants géniaux (ou pas), leur job passionnant (ou pas), une kyrielle d’ami.e.s triée sur le volet et des amants pas toujours (rarement ? jamais ?) à la hauteur. Tinder, Meetic, Gleeden, etc… grouille de cinquantenaires, les sites et applis de rencontres ne sont pas l’apanage des nouvelles générations. Certes nous ne sommes pas nées avec internet mais on a parfaitement pris le train en marche dès son avènement.

Parce que voilà notre problème à nous les femmes aux abords de la cinquantaine, un peu avant ou un peu après, de la génération post baby boom, on est encore pimpante (« divinement bandante » comme me l’a dit hier un one shot et j’ai, ma foi, apprécié le compliment), désirante et désirable, parce que la ménopause n’a pas que ses mauvais côtés et ne résume pas notre rapport au corps et au sexe. On a réglé un bon nombre de nos problèmes existentiels en virant nos ex et en engageant un.e bon.ne psy. Il reste quelques points à traiter mais on y travaille. On a un carnet de bal de one shots, plans cul, sexfriends, amants et amoureux qui nous a quand même ouvert des horizons torrides, on a acquis notre autonomie financière, personnelle et émotionnelle. On a même pris souvent le temps de la jachère sexuelle et sentimentale pour se retrouver, interroger nos besoins et nos envies (à ce propos, voir l’excellent podcast d’Ovidie et Tancrède Ramonet : (Sur)vivre sans sexe). Et là, dégagées des contraintes familiales, on est prêtes à sauter dans le grand bain de l’amour et de la passion, avec de nouvelles règles du jeu et du JE !

Mais qu’ont fait les hommes de notre génération ?!

Rien ! Ou si peu… Car ses hommes que nous rencontrons et avec qui nous échangeons, ils ont quand même eu des parcours de vie parallèles aux nôtres, vie(s) de couple, enfants, séparation(s), nouvelles amours… Mais de remise en question, que nenni ! Toujours coincés dans le carcan de l’hétéronormativité. Tout juste nourris de fantasmes glanés sur Youporn qui reproduisent à l’infini les clichés de la domination, de la (multi)pénétration et de la femme au service du plaisir de l’homme. Ils se persuadent d’être ouverts, imaginatifs, carpe diem, rencontres sans pression et autres fadaises ! En réalité, ils crèvent de trouille. Terrifiés de s’engager (ben non, un deuxième ou un troisième rendez-vous, ce n’est pas une demande en mariage ni même une invitation à partager notre salle de bains !), de ne plus bander (ben oui, passé un certain âge, c’est normal et pas très grave, et il y a mille et une manières de se faire et se donner du plaisir…). Incapables de communiquer et d’imaginer d’autres schémas, de remettre en cause les cadres de la masculinité.

Parce que la réalité, c’est que nous leur faisons peur. Peur de notre autonomie, de notre soif de vie et de passion, de notre liberté alors que la leur semble si précieuse. Peur de la castration et de la perte de leur sacro-sainte virilité, parce que notre cheminement, notre désir, nos attentes et nos exigences menacent leur pouvoir, leurs petites vies bien tranquilles, pétries de certitudes.

Oh bien, sûr, il y a ceux qui ont lu Jouissance club, King Kong théorie et qui sont abonnés au compte Instagram @Orgasme_et_moi, qui prônent une sexualité́ bienveillante, libre, respectueuse et inclusive. Pratique le hashtag #MMM sur sa bio Tinder pour pécho ! Mais de cette perspective, ils ne retiennent que la liberté, la leur. Celle de ne vous voir que lorsqu’ils en ont envie. De multiplier les expériences, mais toujours consenties bien sûr, car ils sont très respectueux. Celle de butiner bien en dessous de leur âge parce qu’ils sont tellement cools et open mind.

Les profem, ce sont les plus dangereux au final. Parce qu’avec ceux là vous pouvez vous imaginer vivre quelque chose de différent, vous vous attachez un peu, vous avez envie d’y croire, vous vous prenez à rêver. Eux vous adorent. Vous avez de la conversation, vous les nourrissez intellectuellement, vous leur donnez l’impression d’avoir un rendez-vous de qualité, pas un simple one shot vulgaire avec une chaudasse (parce que ce n’est pas leur genre, hein !), vous êtes stimulantes, sexuellement libres, sensuelles, prêtes à toutes les expérimentations, ouvertes à la non-exclusivité, gaies et disponibles. Et vous aussi, vous les adorez bien sûr ! Enfin des hommes avec qui avoir des échanges intéressants, être un peu plus vous-même, avec qui partager des affinités. Ils savent donner du plaisir, ils s’y appliquent même et parfois avec succès. Mais toujours dans la retenue. Il ne faudrait pas que vous y preniez goût à ces charmants intermèdes. Parce que cette liberté toute nouvelle qu’ils ont conquises, cette expertise du plaisir, ils ont bien l’intention de la mettre à profit avec le plus grand nombre. Et que lorsque vous, vous envisagez une relation suivie bien que non-exclusive, ils prennent la tangente comme les autres ! Tout aussi terrifiés que vous leur voliez le peu de temps qu’il leur reste pour profiter de cet immense champ des possibles qui vient de s’ouvrir à eux, sans imaginer un instant que vous pourriez le partager, en respectant l’autonomie de chacun.e.

A tout bien réfléchir, je préfère m’envoyer en l’air avec des hommes qui ne me font pas rêver. Avec lesquels, je n’imagine pas autre chose que quelques moments de plaisir intense. Je me suis épuisée à la quête du « Prince déconstruit » comme le dit une copine. Ils sont trop rares, trop dangereux et trop égocentriques. Tellement dans la maitrise que je me sens manipulée.  A se déconstruire, ils en ont perdu toute spontanéité. Déconstruits peut être mais pas reconstruits.

Voilà le gap pour nous les cinquantenaires ! Coincées entre des hommes perdus au fond du gouffre hétéronormé qui ne voient pas plus loin que la maman (leur ex, leur femme, leur maitresse) et la putain (je vous laisse deviner dans quelle catégorie ils me rangent…) et des hommes qui ont entamé le chemin de la sexualité libre et bienveillante mais à leur seul profit, en se donnant, en outre, bonne conscience.

Ils vivent tous dans la peur. Peur de nous. Toujours trop ceci, pas assez cela. Sommées toujours de correspondre à leur plaisir et à leurs attentes, de rester dans le cadre, leur cadre. Toujours imparfaites malgré nos efforts. Tendues vers notre objectif, traçant notre chemin, fortes et dignes alors qu’ils n’ont toujours pas trouvé la boussole, qu’ils attendent « la petite étincelle » sans même prendre la peine de voir le merveilleux feu de joie qu’ils ont sous le nez. Je les trouve pathétiques. Parce que je sais qu’ils finiront, pour la plupart, au choix, avec une femme plus jeune, sûrement moins épanouie, mais qui leur donnera l’impression d’une jeunesse et d’une virilité (toute relative…) retrouvées ; ou aigris et seuls, continuant à nous accuser de tous les maux de leur malheur ; ou toujours avec leur femme, à nouveau monogame, dans le cocon douillet de leur foyer, la tête pleine des souvenirs de leur splendeur et conquêtes passées.

Et nous, avec notre liberté si chèrement conquise, nos corps qui perdent de leur fermeté, mais notre désir et nos aspirations intacts, nous nous retrouvons perdues dans le no mand’s land des rencontres. On est là, sous les radars des médias et des réseaux sociaux, à échanger entre amies sur nos déboires, oscillant entre ironie, franche rigolade et lassitude, à envisager d’hypothétiques belles rencontres avant de se réconforter que l’on pourra toujours, quand le moment sera venu, trouver du réconfort dans une communauté de Babayagas.

Adele - Rolling in the deep


 

Commentaires