In the middle of the bed


D’après une enquête de l’IFOP réalisée en 2015, 8% des personnes vivant en couple sous le même toit font chambre à part et elles sont autant à souhaiter avoir leur propre chambre (1). Ainsi, 84 % des personnes vivant en couple plébisciteraient le lit conjugal. C’est dire si le lit est LE symbole l’intimité du couple. 81 % des personnes interrogées définissent le lit comme « un lieu intime réservé à eux/elles seul.e.s et à son/sa conjoint.e ». 

La sacralisation du lit conjugal

L’enquête IFOP montre également que la tendance à faire chambre à part, ou à le souhaiter, augmente avec l’âge. Après le romantisme, le pragmatisme. Quand on sait que près d’un.e Français.e sur deux se plaint des ronflements de son/sa partenaire (pool position) et que la tendance à tirer la couverture ou prendre trop de place énervent respectivement 31 % et 23 % des interrogé.e.s, cette sacralisation du dormir ensemble confine au masochisme. Et d’autant plus pour les femmes qui sont bien plus nombreuses à se plaindre des désagréments provoqués par cette masse musculaire étrangère à leurs côtés qui prennent toute la place ou la couverture. Cela vous étonne ? Le manspreading (« étalement masculin ») est partout, Mesdames, même dans votre lit ! 


Linda Lemay - Chéri, tu ronfles

Les clichés ont la vie dure, le fait de faire chambre à part traduit souvent dans l’imaginaire une débandade de la vie intime du couple. S’ajoute à cette injonction du dormir ensemble pour le meilleur et pour le pire, une raison plus matérielle. Pour pratiquer le « chambre à part », il faut pouvoir disposer de suffisamment d’espace pour que chacun ait sa chambre. Ce n’est donc pas un hasard si cette pratique est plus courante dans les catégories sociales aisées que chez les classes populaires. C’est un luxe que tout le monde ne peut pas s’offrir. Du coup, tiens, je me demande qui garde la fameuse "suite parentale" sublimée par Stéphane Plazza et ses amis agents immobiliers ? Les filles, j’espère que vous ne lâchez rien sur le morceau, et que vous vous gardez le continuum chambre-dressing- salle de bains ! 
Pourtant, d’après notre spécialiste national de l’intimité, le sociologue Jean-Claude Kaufmann(2), la pratique de la chambre séparée ne traduit pas forcément une baisse de libido dans le couple mais une plus grande attention accordée au confort de chacun. De ma petite expérience, les hommes mariés ou en couple que j’ai connu et qui affirmaient n’avoir pas ou quasiment plus de relations sexuelles avec leur conjointe (je vais bien devoir les croire… même si personnellement je m’en fiche comme de mon premier string) continuaient tous à occuper le lit conjugal. Comme quoi !
Deuxième point crucial de la cohabitation dans le même lit, le côté où l’on dort. Il semblerait que ce soit une habitude si ancrée dans le couple qu’elle n’est plus négociable passée quelques mois… Il faut donc faire super gaffe à la place que l’on occupe les premiers temps, parce qu’après c’est mort !
En y réfléchissant un peu, je m’aperçois que je n’ai pas jamais eu de côté de prédilection. En couple, j’ai toujours dormi du côté où je pouvais caser ma table de chevet et tous mes bouquins. Et que ce côté pouvait changer en cas de déménagement et de nouvelle configuration de la chambre.
« Des études ont démontré que la plupart des femmes préféraient dormir du côté le plus éloigné de la porte. Ce serait un vestige du temps des cavernes où c'était l'homme qui gardait l'entrée. » (3) 
Je viens de passer en revue les quelques lits que j’ai partagés suffisamment longtemps pour prendre des habitudes et ouf ! Je n’ai pas abandonné l’entrée de la caverne à mes homo sapiens. Surveiller l’entrée de la caverne ne me dérange pas. Et je trouve même cela préférable à me retrouver collée contre la paroi de ladite caverne. Ben oui, parce que quand tu vis dans des appartements urbains, tu n’as pas toujours la chambre de 30 m2 de tes rêves et que le lit se retrouve parfois collé contre le mur… Sympa pour se lever la nuit !
Cette histoire de côté du lit m’a toujours perturbée. C’est comme avoir toujours la même place à table. Dans l’absolu, et dans mes rêves d’amour fougueux, j’imagine plutôt que nous allons l’un et l’autre nous endormir là où nos étreintes nous laisseraient éreintées. Ce truc de chacun son côté me semble un des combles de la routine conjugale. J’y ai pourtant toujours sacrifié et me suis tenue bien sagement sur le côté que je ne sais même pas quel négociation, hasard, suggestion, aménagement pratique m’avait assigné.

La conquête du lit

Avant ma première expérience de couple, j’occupais l’intégralité du lit selon les jours ou les heures de la nuit. A droite, à gauche, en diagonale, en étoile de mer. Ces 2,80 m2 m’appartenait à moi toute seule. C’était mon territoire, même si j’acceptais de la partager occasionnellement avec des petits copains de passage. C’était MON lit. J’étais passée d’un lit à une place dans ma chambre d’adolescente à un lit 2 places à mon premier appartement d’étudiante. Et ce lit, vaste, signait ma toute nouvelle indépendance et liberté. Le passage à la vie d’adulte. J’y dormais, certes. J’y baisais (assez rarement il me faut bien le concéder à l’époque). Mais aussi, j’y passais des heures à lire, réviser mes cours, regarder la TV, papoter avec ma coloc ou mes amies au téléphone, j’y grignotais et y prenais même mes repas.
Autant dire que devoir partager cet espace si intime avec celui qui fut mon premier conjoint fut une rude épreuve. Je me souviens de sensation d’étouffement et d’enfermement irrépressible dans la salle de bains pour reconquérir un peu d’espace à moi. C’est vous dire si j’étais faite pour la vie de couple !
En quelques semaines (mois ?), ce lit qui était un univers, s’est réduit en un lieu exigu aux seules fonctions de sommeil et de sexe, et de petits déjeuners, que je devais partager nuit après nuit, sacrifiant mon étalement voluptueux à une étreinte amoureuse dont je m’échappais dès que mon partenaire s’endormait pour me réfugier comme une évadée sur l’extrême bord du lit. 
Au fur et à mesure des années, il y eut de moins en moins d’endormissement en cuillère, peau contre peau, et de plus en plus de confinement sur le bord du lit pour tenter de protéger un espace vital et personnel. Vers la fin d’ailleurs, si j’avais pu construire un mur de Berlin au milieu du lit… Histoire de n'avoir pas à repousser un assaut sexuel intempestif...Pourtant, j’ai rarement fui le lit conjugal. Il m’est certes arrivé d’aller dormir sur le canapé suite à des scènes relativement pénibles mais de manière épisodique et je finissais toujours par regagner le lit commun la nuit suivante, comme une enfant qui aurait fait un caprice. Ainsi, jusqu’au dernier jour me semble t’il, nous avons partagé "notre" lit alors même qu’avaient été acté mon départ et notre séparation.

Autant vous dire que mon nouveau lit de célibataire dans ce minuscule 2 pièces que j’avais dégoté me semblait un territoire à reconquérir dont il n’était pas question que je concède la moindre parcelle à mes amants de passage.
Je pense avoir inconsciemment réglé toute tentative d’intrusion de la part d’un malotru ou faiblesse de ma part par l’achat d’une mezzanine. Certes l’appartement était petit, et la mezzanine semblait une solution adéquate. Mais poser son lit sur une mezzanine quand on entame une carrière de séductrice impénitente, c’est un peu comme s’acheter un Zodiac pour participer au Vendée Globe ! 
C’est ainsi que durant près de 3 ans, aucun des amants et hommes de passage qui ont traversé mon existence n’a grimpé l’échelle accédant à mon lit. Nous avons baisé sur le canapé, ouvert ou fermé, chez eux, sur leur lieu de travail, dans des hôtels, dans des escaliers, dans des appartements prêtés, mais JAMAIS dans mon lit. Et d’ailleurs, j’ai bien peu partagé de nuit entière avec ces hommes de passage. J’adorais rentrer chez moi au petit matin, voire même en pleine nuit et me glissais dans mon lit, seule, avec tout cet espace, rien que pour moi. Je n’en ai jamais invité un à rester et savais leur signifier habilement et gentiment qu’il était temps de regagner leurs pénates. C’est aussi sûrement pourquoi j’ai tant aimé les hommes mariés qui n’étaient libres que l’après-midi. Un tel évitement de ma part confinait à la pathologie traumatique.


Amy Winehouse - In my bed

Car la conquête de ce territoire si intime et marquant ma nouvelle indépendance ne s’est pas fait si aisément. J’ai mis des mois pour arriver à dormir ailleurs que sur un côté du lit. J’avais beau me forcer, mettre l’oreiller (parce que longtemps, je n’ai eu qu’un oreiller !) au centre du lit, je glissais immanquablement vers le côté. J’ai longtemps eu cette étrange impression que mon matelas était convexe et me renvoyais vers le bord. La reconquête de l’intégralité de la superficie de mon lit m’a pris des années.
J’ai rechuté durant quelques années lorsque j’ai trouvé un amoureux avec qui j’ai partagé 4 années de ma vie, sans que nous ne cohabitions. Inévitablement, chacun a eu sa place, son côté. Inévitablement, je n’ai pas supporté cette promiscuité. Car c’est bien de cela dont il s’agit de promiscuité. 
Je n’aime pas cette proximité corporelle quand je dors et m’abandonne au sommeil. J’aime la proximité, la fusion, l’abandon des corps, sans limite, quand il s’agit de sexe. J’aime cette connivence, cette complicité qui se créée entre des corps. Cette exploration infinie de chaque parcelle, de chaque repli de peau. Mais cette proximité corporelle doit s’inscrire dans un espace-temps limité, une bulle. J’aime aussi cette tendresse un peu factice qui s’établit quand les corps se reposent, propice aux légères confidences et aux fous rires. Ces caresses douces, ces enlacements qui suivent le plaisir et qui sont autant de préliminaires vers de nouveaux embrasements. Mais quand la séquence est finit, il est temps de reprendre ses distances et de reprendre sa vie.

Cela fait maintenant plusieurs années que j’ai reconquis pleinement mon territoire de nuit. Ma chambre est mon havre de paix, mon cocon, mon espace à moi. D’autant plus indispensable depuis que j’ai un fils. C’est un territoire sacré. Interdiction d’y jouer, d’y laisser ses affaires, d’y entrer sans ma permission.
J’ai enfin atteint le milieu du lit. J’y glisse mon oreiller favori (j’en ai 2 maintenant… Je progresse !) au moment de m’endormir, avant de poser mon livre et d’éteindre la lumière. Je prends possession de l’espace, soupire d’aise, émet un léger gémissement de plaisir, parcourt de mes jambes le vide d’un bord à l’autre, recherche les endroits frais les jours d’été et m’y blottis, recroquevillée, les jours d’hiver. Je roule d’un côté et de l’autre tout au long de la nuit, m’étale en travers, me retourne sans craindre de déranger, tire et rejette les draps à mon gré. Et chaque soir, immanquablement, je savoure consciemment cet instant de plénitude de ne partager cet espace avec personne, d'être seule avec moi-même.

Il m’a fallu atteindre la quarantaine passée pour enfin jouir du fait d’être enfin in the middle of the bed.

Pourtant, certains soirs, au moment de me coucher, j’aimerais sentir des mains sur ma peau, douces, tendres, caressantes, insistantes. J’aimerais surtout sentir le désir d’un homme au réveil, sentir monter l’excitation dans un demi-sommeil, me réveiller tout à fait, entreprenante, langoureuse et joueuse.

Mais cela vaut-il vraiment le sacrifice d’abandonner the middle of the bed ?


(1) Enquête IFOP, « Les Français et leur lit », réalisée en 2015 pour Femme Actuelle à l’occasion de la sortie de l’ouvrage Un lit pour deux, la tendre guerre (éditions Lattès) du sociologue Jean-Claude Kaufmann. 
(2) J.-C. Kaufmann, c’est celui qui a posé son microscope sociologique sur les seins nus, nos fesses, nos poubelles, nos casseroles, notre linge, nos lits… Depuis plus de 30 ans, il dissèque notre manière de vivre et la trame de la vie conjugale.

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